A propos

Lettre de Brice Homs

D’abord la lumière. Les premières toiles que vous allez découvrir ou retrouver sur ce site - les plus récentes - sont avant tout lumière. Et matière. Et mouvement immobile. Et couleurs. Des rouges puissants. Des bleus profonds. Un orange doré comme un soleil couchant. Le vert d’eau des bayous et des rivières. Le blanc azuré des nuages.

Un voyage donc.

Il y a dans l’abstraction le fait de s’abstraire soi-même. L’art abstrait, abstrait de soi. De quelque chose. De quelque part. Il est trajet. Rencontre. Dialogue. Il convient alors de voir, c’est à dire d’entendre, ce que l’artiste a à nous dire. Quelle histoire elle nous confie. Quelle musique elle nous offre. Quelle résonnance elle cherche en nous. Ce qu’elle expose d’elle comme de nous. Voir. Et pour cela, commencer par regarder.

Je vous propose donc de suivre le travail de Nathalie Beras, le chemin sur lequel elle nous offre de l’accompagner, en le prenant comme un chemin doit être marché : dès le départ.
Partons donc des premières toiles, des Arts premiers. Et de la toute première. Le don de soi (2012). Un corps nu, épaules relâchées, sans aucune tension, chaviré. Il y a dans cette toile fondatrice une promesse, celle de l’abandon. La douceur des prières, de l’amour et des sens. Entre terre et chair. Il est important de bien garder en tête cette première toile. Car, bien que figurative, elle nous invite déjà à l’abstraction de soi. Elle nous ouvre le chemin. Nous pouvons maintenant nous mettre en route. Traverser les masques. Les figures d’un bois qui peu à peu vire à l’ocre du sable et des cendres, se fige dans un cri, muet, et assourdissant.

La deuxième « série » - j’allais dire saison, comme une saison de télévision – succède à ce « cliffhanger ». Elle résonne de ce cri. Les convulsions apparaissent. Le trait s’épaissit, le rouge brûle, incandescent. Les corps se tâchent, se calcinent, les visages se brouillent, se rouillent, un volcan de violence à projeté ses convulsions et ses cendres. Un volcan. Retenir maintenant ce mot, comme on retient son souffle. Puisqu’il est déjà là. Hors cadre.

Le voilà d’ailleurs qui apparaît dans la troisième série que nous allons parcourir (2017). Apaisé. C’est une île. Une montagne entourée d’eau. Un paysage. Un lieu. Il se décline en couleurs, en heures différentes, en étés, en hivers, en soirs contrastés et en matins froids et brumeux. « Je vous cerne comme la mer ». L’artiste s’adresse à l’île en nous. Qui ne s’est jamais senti une île ? Une solitude ? Un cœur volcan ?

Cette île, singulière, se décline au pluriel. Fixe. Le temps est juste le temps qu’il fait. Les couleurs qu’il faut. Humeurs changeantes. Une nouvelle série (2018) l’offre en contemplation.
Le même point de vue. Le même paysage qui résiste à tout. Minéral et permanent. « Je suis un roc, je suis une île - chantait Paul Simon – et un roc ne ressent pas de peine, et une île ne pleure jamais ». Ce roc nous apaise. Cette île est consolation.

Regardons-la de plus près maintenant qu’elle nous est familière. C’est ce que nous propose la série de 2019. L’île se singularise encore, s’offre un peu plus. Elle devient rêve. Souvenir. Nathalie Beras y partage avec nous quelque chose d’intime, une part d’elle-même et de son enfance. Un lieu qui a construit son regard. Son intimité avec l’île qui l’habite autant qu’elle l’a habitée. De joyeux papillons colorés virevoltent au premier plan. Si l’on regarde bien. Si l’on prend ce temps. Le temps du regard. On remarque, émerveillés, l’île elle-même dans la forme de chaque papillon. Un envol. Une danse. Légère. Chacun de nous est une île. Mais la même île. Qui pourrait rêver plus belle poésie ?

Peut-être ces cerfs-volants de lumière qui montent vers le ciel comme des lanternes chinoises dans la série suivante (2022). L’île s’efface ensuite, de toile en toile, dans la brume des bleus clairs, entourée de ciel comme elle l’était d’eau. Elle semble se dissoudre. S’abandonner enfin. Volcan qui, après l’apaisement et la danse, consent à disparaître. Ou se rapprocher encore.

Car nous arrivons à la série des « Abstraits ». La première (2013) nous plonge au cœur de la matière. Une vue au microscope. Roger Caillois évoquait certains minéraux dans lesquels se voient des paysages. Si l’Agathe de Pyrrhus était censée être à l’image d’une peinture, il faut bien que la peinture tente à un moment de reproduire et sublimer le chaos contenu dans la pierre, une succession de hasards, de contractions, de forces telluriques, mêlées dans l’énergie du chaos et polies par le temps.

Alors, tout devient rythme (2014). Rythmes vibrants de cristaux. D’ondes. Une autre danse. Une pierre même en éclats reste de la pierre. De la lumière réfléchie. Et célébrée. Ainsi les deux séries suivantes (2015 - 2016) prennent-elle des couleurs vives, une joie nouvelle. Des airs de fête où se mêlent les couleurs du Pop art et des imprimés de tissus africains. On y retrouve une continuité thématique. Une inspiration qui n’a jamais quitté l’artiste.

Le rythme se ralentit peu à peu au fil des toiles. Les traits s’espacent. Cette île, ce roc qui même en cristaux reste le roc, s’éparpille, s’atomise, s’envole, reflets diffractés dans la lumière. On peut enfin lever les yeux vers le ciel. Sortir du chaos des matières et des sens pour mieux le regarder, en voir la diffuse beauté, inextricable. Des lueurs. Minérales. Boréales.

Dans ce voyage vers la lumière auquel la peinture de Nathalie Beras nous convie, chaque étape se dépouille de quelque chose. Le regard se déshabille de son objet. Oui, la promesse de la première toile est tenue. Rappelez-vous, nous devions nous en souvenir. Un don de soi. Un lâcher-prise. S’abandonner à l’éblouissement qui contient toutes les beautés, comme toutes les beautés le contiennent.

J’ai le sentiment, maintenant que nous avons fait ce même voyage, que nous avons quelque chose en commun. Quelque chose de plus. L’art nous emmène au-delà de nous-mêmes, et celui de Nathalie Beras n’y fait pas défaut.

Puisque que nous avons, ensemble, eût ce privilège, n’hésitons pas à le partager.

Brice Homs – Paris, mars 2024

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Brice Homs est écrivain, parolier et scénariste, membre du conseil d’administration de la SACEM, de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, et de la Société des gens de lettres.